Dr. Oumaima EL MASAOUL
Dans Désert, Lalla cherchera à connaître son identité en retournant au pays de ses origines. La personne en quête de soi s’efforce de découvrir toutes les voies permettant d’accéder à sa propre vérité.
Qu’est ce qu’avoir une identité ? Dans quel espace Lalla retrouvera son identité et sa liberté ? Comment pourra-t-elle retrouver les traces de ses ancêtres et sa propre histoire ? Et Quel est le pouvoir du rêve, des contes et des histoires dans le roman objet de notre étude ?
L’identité est spécifique à chaque personne. Elle distingue l’être de ses semblables.
La quête de l’identité est en quelque sorte la recherche de ce qui distingue la personne de la masse, ce qui fonde le sens de sa vie.
Amin MAALOUF, dans les pages de son livre « Les identités meurtrières », définit l’identité comme suit :
Mon identité, c’est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne. C’est une appartenance à une tradition religieuse, une nationalité, parfois deux, à un groupe ethnique ou linguistique, à une famille plus ou moins élargie, à une profession, à une institution […] C’est une appartenance plus ou moins forte à une province, un village, un quartier, un clan, un syndicat[…] L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence[…]Toutes ces appartenances n’ont évidemment pas la même importance, en tout cas pas au même moment, mais aucune n’est totalement insignifiante. Ce sont les éléments constitutifs de la personnalité, on pourrait dire « les gênes de l’âme »[…] A condition de préciser que la plupart ne sont pas innés […] Si chacun des éléments peut se rencontrer chez un grand nombre d’individus, JAMAIS on ne retrouve la même combinaison chez deux personnes différentes ! C’est justement ce qui fait la richesse de chacun, sa valeur propre, c’est ce qui fait que tout être est singulier et potentiellement irremplaçable[…] L’humanité entière n’est faite QUE de cas particuliers, la vie est créatrice de différences, et, s’il y a « reproduction », ce n’est JAMAIS à l’identique[…] Chaque personne, sans exception aucune, est dotée d’une identité composite ; il lui suffirait de se poser quelques questions pour débusquer des fractures oubliées, des ramifications insoupçonnées et pour se découvrir complexe, unique et irremplaçable. C’est justement cela qui caractérise l’identité de chacun : complexe, unique, irremplaçable et ne se confondant avec aucune autre ! Car c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances et c’est notre regard qui peut aussi les libérer. »
Lalla menait une vie errante. Elle quittera le pays de ses aïeux pour découvrir le monde moderne.
« Ce deuxième espace sera confronté au désert, l’espace des origines, à ses valeurs morales, à sa force ancestrale. L’histoire individuelle de Lalla se confond avec le passé historique et mythique du Maroc. Malgré le décalage chronique et la portée des différentes destinées, celle de Lalla individuelle, celle des hommes bleus collective, ces deux errances se rejoignent dans un même lieu et constituent l’essence d’un même élan, d’une puissance tellurique représentée par le désert. »
Son errance s’inscrit dans un mouvement circulaire ayant le désert comme point de départ et de retour. En revenant sur les pas de ses ancêtres, Lalla revivifiera sa mémoire, individuelle et collective.
« Lalla incarne l’essence du désert .Son origine est presque mystérieuse, elle descend des hommes bleus du désert et l’on suppose qu’elle a une parenté secrète avec le jeune guerrier Nour, dont elle serait la descendante. Lalla à travers l’étendue du désert reproduit les voyages de ses ancêtres, les hommes bleus, dans un geste ancestral qui se révèle par le voyage constant vers un ailleurs, vers l’inconnu qui lui confère l’identité d’une vraie fille du désert. Le lien qui relie Lalla au passé est l’image du guerrier bleu, Es Ser , dont le nom signifie le secret ; Es Ser est un personnage légendaire qu’elle voit surgir dans l’étendue du désert dans l’étendue du désert , dans un mirage qui se renouvelle souvent .Elle plonge dans un univers mythique où elle revit la mémoire de ses ancêtres. »
Pour comprendre son passé, Lalla fait surgir des souvenirs. Elle entre dans de longues rêveries et utilise le sensualisme pour que chaque coin caché et retiré de la mémoire soit dévoilé. Une fois les sens sont éveillés, l’exploration du moi commence. L’abolition des distances temporelles et spatiales permet de revivre les sensations passées dans l’instant présent.
Cette descente dans l’intériorité et dans le passé peut s’effectuer aussi par les histoires et les contes. Le Clézio raconte par le biais de Naman, ami de Lalla des histoires qui baignent Lalla dans un monde imaginaire, très lointain. Des histoires issues d’un fonds ancestral.
De plus, Naman va initier Lalla aux secrets de la mer. Il lui racontait des histoires des dauphins et des mouettes. En regardant dans les yeux de Naman, Lalla aperçoit les belles villes blanches de l’autre côté de la mer.
Lalla écoutait les histoires racontées par son ami Naman avec beaucoup d’émerveillement et d’enthousiasme :
« Lorsque Naman commence une histoire, on ne sent plus les mouches, « personne ne chasse les guêpes : c’est comme si elles devenaient un peu magiques, elles aussi, de sortes de djins »(D137).On retrouve les enchantements de l’enfance .Cela n’empêche évidemment pas l’horreur d’exister, et les contes eux-mêmes peuvent être horribles. Mais le souffle d’un autre monde vous a effleuré. »
Les passages qui évoquent des contes anciens dans le roman donnent à l’écriture le clézienne une singularité. En plus d’un écrivain, le Clézio est un conteur :
« Un conteur doit faire voir, sentir, entendre ce qu’il raconte : Le Clézio n’oublie jamais de solliciter tous les sens, de trouver des images concrètes ; de suggérer les rythmes par l’écriture, de mettre son lecteur en présence des scènes racontés. »
Les contes de Naman traversent l’espace et le temps, donc aussi les cultures. Ils permettent à Lalla de voyager avec son imaginaire loin, très loin. Dans ce même sens, Lévi Strauss, « La sensibilité et l’imagination sont les instruments d’une relation au monde extérieur et intérieur».
L’imaginaire offre à Lalla l’accès à la connaissance de son être, des autres, des animaux et du monde entier.
Pour Lalla, se retrouver, c’est d’abord disparaître, fuir, errer, dépasser les limites, les frontières, sortir de soi dans la prière, l’extase, l’amour, le rêve, etc.
Quel rôle peut jouer le rêve dans une quête identitaire ?
Le rêve a un grand effet sur l’initié et sur sa quête identitaire. Il est l’expression parfaite d’une vision utopique du monde, d’une aspiration à un souffle de liberté, à une paix intérieure.
Le rêve de revenir au désert marque profondément l’écart entre le monde réel et le monde imaginaire, un écart qui promet une renaissance par la quête initiatique et par le voyage au monde onirique.
Quand Lalla est revenue, c’était essentiellement pour arrêter le rêve, pour que la vie recommence.